mercredi 30 décembre 2015

Barbie, le conditionnement innocent et moi

 
A 3 ans, j'ai reçu ma première Barbie en cadeau de noël. Avec mes deux sœurs, nous nous prîmes alors de passion pour la belle blonde et notre collection s'agrandit au fur et à mesure des années, totalisant plus d'une quarantaine de poupées Barbie à son apogée.
A 8 ans, un camarade de classe m'a dis «Fais comme Barbie, sois belle et tais toi », je me souviens avoir pris cela comme un compliment car après tout il venait de me dire que j'étais belle.
A 17 ans, j'ai insisté pour jouer Barbie dans la pièce de mon lycée Alice et autres merveilles de Fabrice Melchiot, voulant incarner celle que j'avais toujours admiré.
Et entre temps, j'ai entendu des dizaines et des dizaines de remarques, concernant la blondeur et mes longs cheveux, mon rouge à lèvres trop rose, mes bonnes notes qui n'étaient pas en adéquation avec mon apparence. Une fois de plus, l'imaginaire collectif associe blondeur et bêtise, maquillage et pauvreté d'esprit.
Et si toutes ses réactions avaient été conditionnées dès notre plus jeune âge, grâce (ou plutôt à cause) de la Poupée Barbie?
Si la poupée née en 1959 n'avait pas existé, aurait-je entendu toutes ses réflexions  ? 
Le rose serait-il toujours ma couleur préférée omniprésente dans ma vie (de mon ordinateur à ma chambre en passant par mes ongles) ?
Porterais-je du maquillage quotidiennement si je n'avais pas tenu en main la poupée Mattel ?  
Et si ce conditionnement n'avait rien d'innocent mais était plutôt le symbole d'une industrie bien menée où l'on continue à apprendre aux petites filles d'être douce et jolie ?

Le phénomène Barbie est du à un marketing savamment orchestré, et une image bien définie. La poupée « type » à les yeux bleus, les cheveux blonds, une poitrine généreuse et surtout une taille de guêpe. Cette image de la « femme parfaite » continue encore de faire rêver les fillettes: près de 90% des petites Françaises en possèdent au moins une.
Quelle petite fille n'a jamais rêvé de ressembler à celle qu'elle tenait dans les mains ? D'avoir sa taille, sa poitrine ? De se projeter, de s'imaginer être comme elle, une fois adulte ?
Néanmoins, la petite fille que j'étais, n'aurait probablement pas envie de ressembler à Barbie si elle savait que ces mensurations sont irréelles, si on lui avait dit que son corps n'était pas un modèle à avoir, puisqu'il ne pouvait être obtenu.
Une infographie mettant en valeur les proportions irréalistes de Barbie, nous apprend que 
  • son cou trop fin lui empêcherait de tenir sa tête
  • sa taille trop étroite ne permettrait pas de loger tous ses organes
  • ses jambes sont 50% plus longues que ses bras (contre 20% pour une femme normale) et trop fines
  • ses poignets trop frêles ne lui permettraient pas de soulever quoi que ce soit
  • ses pieds, trop petits, la forceraient à marcher à quatre pattes.
Ainsi si Barbie existait elle serait à l'opposé du modèle de beauté, ce sera une femme malade, souffrant d'anorexie, constamment hospitalisée.
Des chercheurs anglo-saxons ont souhaités observer l'impact de Barbie, ils ont donc exposé des petites filles à des images de Barbie, à des images neutres, mais aussi à des images d'une poupée d'une firme concurrente, " Emme", qui à la particularité de posséder des mensurations réalistes. Ils ont donc confectionné des livres d'images selon les trois angles, qu'ils ont donné à 150 petites filles, pendant qu'ils leur lisaient l'histoire correspondante (la même dans les trois livres) : une jeune femme qui va acheter une robe afin d'aller à un anniversaire. Puis ils leur ont proposé un questionnaire sur l'image qu'elles avaient d'elles. Ainsi, ils ont constaté que les filles exposées aux images de Barbie pendant l'histoire avaient par la suite une plus mauvaise image de leur corps, et souhaitaient globalement être plus minces que les autres à l'âge adulte. Un effet que l'on ne retrouvait pas avec les images neutres, ni avec celle des poupées plus rondes. Cependant, les filles les plus âgées semblaient moins sujettes à l'influence de Barbie,le conditionnement a opéré chez les plus petites seulement.
Ce culte de la perfection crée un mal-être chez la petite fille, qui se questionne non pas sur son être mais sur son paraître.
L’hyper-sexualisation est un phénomène alarmant, de nos jours, il n'est pas rare de voir des fillettes de 9 ans aller à l'école avec du gloss, et des mini-jupes. On ne peut nier la dimension mythique de Barbie, l’icône demeure un modèle pour les petites filles. Exerçant chez le commun des mortels à la fois admiration et répulsion.
Barbie reste une représentation disproportionnée de la femme qui offre à l'imagination des enfants une idée déformée de ce qu'est un corps adulte.
Néanmoins, depuis son début de carrière , Barbie a exercé plus de 150 métiers dans tous les pays. En 1959, le travail de Barbie se résumait au mannequinat. Un an plus tard, elle devint chanteuse et créatrice de mode. Deux ans plus tard, on pouvait acheter une Barbie ballerine, infirmière ou encore hôtesse de l’air chez American Airlines.
Forte heureusement, depuis cette période où les jobs qu’on lui attribuait nourrissaient les clichés genrés, Barbie a pu devenir chirurgienne, femme d’affaire, officier de l’armée, productrice ou encore candidate à des élections.

Depuis quelques années la marque essaye de redorer son image avec des campagnes de publicité comme «Imagine The Possibilities  » (2015), le message diffusé est « you can be anything » (vous pouvez être ce que vous voulez), la vidéo commence avec cette interrogation « Que se passe-t-il quand les fillettes sont libres d'imaginer qu'elles peuvent être ce qu'elles veulent ? »
A première vue, les intentions de cette publicité sont nobles, on explique aux petites filles qu'elles peuvent être ce qu'elles désirent. Cependant, le poids de l’idéologie dominante et de la tradition perdure puisque Barbie exerce malgré tout des métiers en accord avec la construction sociale du genre. En effet, la jeune femme n’est pas représentée comme une future policière ou plombière, elle occupe des postes tels que femme d’affaires ou guide de musée, ce qui ne contribue pas particulièrement à remettre en cause la norme, encore moins à la dépasser. Encore une fois, Mattel ne revient pas sur les stéréotypes, au contraire la marque continue d'entrenir un modèle d’éducation genré au sein duquel les univers enfantins sont cloisonnés entre filles et garçons, de même que les choix pour leur identité et pour leur avenir.
Ainsi, derrière la vision édulcorée de l’avenir que Barbie promeut aux petites filles se cachent un autre problème, la sous représentation des minorités. Dans la vidéo, les fillettes sont toutes dans la norme, on leur promet qu'elles peuvent devenir ce qu'elles veulent, pourtant il n'y a pas de « grosses », de noires, ou d'handicapées. Les petites filles correspondent elles aussi à « l'idéal Barbie », une personne jolie et sans défaut physique.
Mattel essaye tant bien que mal de donner une nouvelle image à sa poupée fétiche, mais la marque échoue. La volonté est ruinée par la continuelle représentation de mettre en scène l'idée qu'ils se font du beau. Il serait en effet impensable de commercialiser une Barbie avec des défauts, avec des dents de travers ou un nez proéminent.
En me rendant dans les rayons des magasins de jouets, j'ai pu constater la non-diversité des métiers représentés, Barbie à beau avoir eu une multitude d'emplois, Barbie Rock Star, ou Barbie Baby-sitter demeurent les best-sellers. Aucune trace de Barbie chirurgienne...
De plus, en regardant la liste des métiers exercés, nous pouvons constater que la plupart sont qualifiable de « féminins », il n'y a pas de bouchère ou de mécanicienne. Ainsi, « tu peux être ce que tu veux », seulement si ce que tu désires est assez féminin et suffisamment vendeur de rêve pour être commercialiser.
Enfin, Barbie, malgré les efforts qui semblent être fait, un produit de marketing genré, discriminant et sexiste. Tout d'abord, l'omniprésence du rose continue de cloisonner la poupée Barbie l'a destinant encore et toujours aux fillettes. Il a été prouvé que les enfants s'identifiaient aux jouets qu'ils possédaient. Comment une petite fille noire, arabe ou asiatique peut-elle se reconnaître dans une Barbie blonde ? Elle aura tendance à penser que si sa beauté n'est pas représentée, c'est parce qu'elle ne mérite pas de l'être. Ainsi, une jeune femme noire, qui a grandi au milieu de Barbie Blonde aux yeux bleus, a exprimé son malaise dans son blog, se souvenant que petite, elle ne dessinait jamais de personnages noirs, pas assez beaux à ses yeux, jusqu'au jour où son père a insisté pour dessiner avec elle et a choisi de représenter une Barbie noire. A partir de ce jour, elle s'est mise à considérer la beauté noire, ce qu'elle n'avait jusqu'alors jamais envisagé. Laisser jouer des fillettes avec des Barbies peut avoir des conséquences désastreuses si les parents, ou l'entourage social ne leur explique pas, que Barbie n'est pas la représentation de la réalité. Barbie n'est pas un jouet diabolique en soi, mais peut le devenir très rapidement.
Barbie est également un produit inégalitaire. Savez-vous qu’une Barbie vétérinaire coûte environ 10 euros plus cher qu’une Barbie fée?
En cause, le « Barbie Paradox », énoncé par l'économiste Matthew J. Notowidigdo :
« Les gens aux revenus élevés dépenseront davantage pour une Barbie. En partant de ce constat, les distributeurs, de leur côté, baseront le prix des Barbie sur le revenu des clients. Les Barbie les plus chères sont en général celles qui occupent un poste avec des revenus élevés : docteur, ingénieure en informatique [...].Dans mes yeux de néophyte, Barbie docteur et Barbie magicienne étaient les mêmes. La seule chose, c’est que vous payez un bonus de dix euros pour éviter que votre enfant aspire à une carrière dans la magie. ». Ainsi, les fillettes s’identifieraient et aspireraient à imiter les poupées, à partir de ce constat il va de soi, qu'un parent préférera mettre plus d'argent dans le jouet.
Malgré des mesures prises depuis quelques années pour faire évoluer l'image de la marque, Barbie demeure dans l'imaginaire collectif, cette jeune femme à la plastique parfaite mais à l'intérieur creux. Certes, Barbie est moins populaire qu'avant, détrônée par les tablettes tactiles mais elle demeure un symbole. Rares sont les jeunes femmes à n'y avoir jamais joué. 
Certes, Barbie crée des inégalités, conditionnant les enfants, mais Barbie permet aussi de développer l'imagination. 
Certes Barbie est un jouet genré, mais ce n'est pas à cause de la Barbie en elle-même mais du choix des parents qui souvent refusent d'acheter à leur fils des poupées par peur de le féminiser !

Postscriptum: Cet article me tenait à cÅ“ur car j'ai longtemps idolâtrer celle que je croyais connaître, pour ensuite la rejeter en la diabolisant. Il a été réalisé à l'occasion d'un travail sur le genre et la sexualité, cet écrit est le condensé de mes recherches (le publier en intégralité me semblait rébarbatif...). J'ai conscience qu'il demeure assez long, et m'en excuse mais en supprimer d'avantage n'aurait pas transmis ce que je voulais partager. 

L.

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